- Désoléééée:
Je sais, c'est très long... Merci/Bon courage si vous lisez tout!
Je suis née à Austin. Je n’ai pas de frères et sœur et tant mieux pour eux… J’aurais sans doute été une sœur chiante. Loyale, fidèle, mais méga chiante. Je considère ma meilleure Swann, comme ma sœur alors elle pourrait sans doute vous le confirmer. Nous nous sommes connues à la maternelle et nous ne nous sommes jamais quittées depuis. Du moins, jusqu’à il y a quelques mois. D’Austin à New-York. De New-York à Austin puis à nouveau d’Austin à New-York. Nous avons commencé la danse à 6 ans et même si je me débrouillais bien, Swann était un cran au-dessus de nous toutes, petites apprenties ballerines. Je lui enviais parfois ses facilités mais je ne l’ai jamais jalousée. J’étais même fière d’être son amie. Sa meilleure amie. Pourquoi je parle de Swann ? Parce qu’elle représente une énorme partie de ma vie et que notre amitié fait aussi de moi ce que je suis aujourd’hui.
Se retrouver à New-York aussi jeunes nous a forgé un certain caractère. Bon d’accord, en fait, j’avais déjà un sale caractère à l’époque alors c’est vous dire si ça ne s’est pas arrangé avec les années. C’est à cette même époque, celle du lycée, que Swann et moi avons pris des voies légèrement différentes. Elle allait passer danseuse professionnelle et je ne me faisais pas de souci pour la suite, elle serait danseuse étoile en quelques années seulement. C’était juste une évidence. De mon côté, j’avais opté pour l’enseignement. Ce n’était pas un plan B mais un vrai choix. Il y avait un peu moins de pression et puis ça me plaisait de pouvoir partager mon savoir. De m’enthousiasmer devant des progrès ou d’encourager dans les difficultés. Je n’avais pas besoin de la lumière des projecteurs. Évitez juste de dire à mes supérieurs que je fais danser mes p’tites poupées sur du rock… Y’a des mentalités qui évoluent moins vite que d’autres. N’empêche que des pointes, des entrechats et des pirouettes sur du Linkin Park, je vous assure que ça déboîte !
Je n’ai toutefois pas abandonné complètement la scène. Membre d’une compagnie, je danse régulièrement et prend part à des spectacles. Mon partenaire, Nate, est mon double au masculin. Mais ne vous faites pas d’idées, il n’y a rien de plus que de l’amitié entre nous.
Bref, retour à l’époque du lycée. Je disais quoi déjà ? Ah oui, le lycée, tout ça, tout ça… Les années ont passé, Swann a gravit les échelons, elle s’est faite remarquée et a décroché le titre de danseuse étoile. Et puis est venue l’année ou le New York City Ballet a programmé « Le Lac Des Cygnes » pour son ouverture de saison. Malgré la compétition féroce, Swann a décroché le rôle. Mais à quel prix ? J’ai vu ma meilleure amie se tuer à la tâche, répétant en ignorant la douleur. Comme si le rôle ne la quittait plus, elle était devenue impossible à suivre. Cygne blanc et cygne noir.
Dès que je n’avais pas de cours à donner, je me précipitais pour veiller sur elle. L’avantage de travailler à l’Opéra c’était d’avoir à parcourir quelques couloirs pour retrouver ma meilleure amie. Bon bah on peut dire que j’ai foiré.
J’étais là quand j’ai vu son fiancé se comporter comme un goujat. Là, quand il a été violent la première fois et que Swann a tenté de camoufler les coups sous du fond de teint. J’étais là mais je n’ai jamais réussi à la protéger, ni à la convaincre de le quitter et encore aujourd’hui, ça me tue. Je n’avais jamais apprécié son fiancé et j’aurais aimé trouver un moyen d’ouvrir les yeux de la ballerine avant qu’il ne soit trop tard. J’aurais aimé l’arracher à ses répétitions pour qu’elle ne finisse pas par avoir peur de son propre reflet. Je voyais Swann sombrer psychologiquement pendant sa marche vers les sommets. Sa passion et son amour allaient la détruire.
J’étais donc là aussi quand tout s’est écroulé ce soir de septembre 2013. Swann avait été parfaite, on lui avait attribué le titre de Prima Ballerina à la fin du ballet. La consécration. Tout le monde était en joie. Sauf Swann. Au premier rang, j’avais vu dans le regard de la ballerine la douleur.
Si je vous parle autant de Swann, c’est parce que mon histoire est intimement liée à la sienne. Après cette soirée d’ouverture de la saison, jamais réticente à l’idée de faire la fête, j’avais profité de la soirée. Swann m’avait assuré que ça allait et m'avait offert sa meilleure performance d'actrice de la soirée pour réussir à me convaincre qu’elle avait envie de profiter de la soirée. Et moi, je n’ai rien vu. Mais si j’avais su ! Au cours de la soirée, je n’arrivais plus à voir Swann au milieu de la foule mais je ne m’étais pas inquiétée. La danseuse étoile faisait sans doute le tour des invités prestigieux au bras du chorégraphe. Ce n’est qu’en sortant du conservatoire, particulièrement joyeuse, que je découvrais les messages de Swann. « Merde ! » J’avais arrêté un taxi et grimpé dedans à toute vitesse. J’espérais qu’elle s’était souvenue de l’endroit où je cachais la clé de secours pour ne pas avoir à m’attendre devant la porte. Je m’en voulais de ne pas avoir vu les messages plus tôt. En arrivant chez moi pourtant, la porte était verrouillée et l’appartement vide. J’avais essayé d’appeler Swann plusieurs fois mais elle n’a jamais répondu. J’ai eu un mauvais pressentiment et je suis repartie en direction de l’appartement de la ballerine.
Je n’en parle jamais. Je ne l’ai jamais dit à Swann, mais la vision d’elle allongée sur le sol, incapable de bouger, me hante encore. Parfois j’en fais des cauchemars. Je suis restée avec elle jusqu’à ce que les secours arrivent mais je savais déjà que ce serait grave. Peut-être même irréparable. S’en sont suivi des mois d’opérations et d’hôpital. Des médecins tous plus compétents les uns que les autres, déterminés à redonner ses jambes à Swann qui n’était plus qu’une coquille vide.
Quand elle est sortie, elle a eu envie de rentrer à la maison, notre maison, le Texas. J’ai respecté sa décision et trouvé un loft qui lui conviendrait pour une vie en fauteuil et un centre de rééducation performant. Et puis la question de la suivre ou non ne s’est jamais posée. Ça avait été une évidence. Tout le monde me disait que j’allais regretter de renoncer à une carrière de professeur dans une aussi grande compagnie mais je ne pouvais pas laisser Swann rentrer chez nous toute seule.
Oh je vous vois venir avec votre psychologie de comptoir. Vous vous dites que je me sentais coupable et que j’ai sacrifié ma carrière pour me racheter mais non. Effectivement, je me suis sentie coupable et même encore maintenant mais c’est juste que je suis comme ça. Je ne laisse jamais tomber ceux qui comptent pour moi.
Bref ! A notre retour à Austin, j’ai trouvé un poste de professeur de danse au conservatoire. Et peu importe ce qu’en pensent les gens, je m’éclate. Je m’occupe de mes p’tites lutines – surnom que je donne à mes ballerine mini-pouce – et m’épanouie comme jamais. J’ai la réputation d’être un peu trop décalée aussi bien dans mon look que le choix de mes musiques mais comme mes p’tites poupées ont le niveau et progressent, et que je suis une danseuse relativement douée, assez pour qu'on lui passe un certain nombre de choses, on ne me dit trop rien. Entre nous, j’aime bien déranger ces esprits un peu trop coincés parfois.
Pour en revenir à ma meilleure amie, j’ai soutenu Swann même quand elle n’en avait pas envie. Je suis comme ça avec elle. Je la couve, je la surprotège, je la bouscule parfois quand il le faut puis je m’excuse (parfois la minute qui suit mon coup de gueule) mais je n’ai jamais réussi à l’aider à surmonter son blocage. Celui qui la laissait coincée dans son fauteuil.
Ça, c’est son actuel compagnon, Fred, qui y est parvenu. Je ne l’aimais pas beaucoup au départ. Faut dire qu’il l'a fait boire le jour de leur rencontre et que j’ai dû ramener une Swann ivre chez elle. Reconnaissez que pour une première rencontre, on aurait pu faire mieux. Sans parler de cet humour douteux sur les jambes inertes de Swann. Je sais que c’est ma culpabilité qui m’empêchait de rire avec eux mais c’était comme ça.
J’ai beau être têtue, j’ai quand même dû reconnaître qu’il lui avait fait du bien. Il l’avait d’abord fait rire. Puis son importance a redonné espoir à Swann et elle a commencé à sentir ses jambes. C’est son attachement réel pour Fred qui la débloquée. J’en suis sûre.
Leur histoire a été chaotique mais après de multiples hauts et bas, la dépression de Swann et sa tentative de suicide, sa renaissance encore une fois, ils ont fini par trouver un équilibre quand nous sommes retournés vivre à New York. Aujourd’hui, Swann est maman d’une petite fille, Juliet et la petite famille se porte à merveille. Je suis une marraine complètement gaga et malgré la distance entre Albuquerque et New York, je tâche d’être toujours présente.
Pour être honnête, même si l’histoire de ma meilleure amie se termine bien, j’ai eu du mal au début. Voir Swann remarcher me faisait énormément plaisir mais c’était compliqué de la voir à nouveau indépendante. J’avais tellement pris l’habitude d’être là pour elle que j’ai longtemps eu du mal à la laisser se débrouiller toute seule. Il a fallu qu’elle m’envoie balader plusieurs fois et c’était mérité. J’encaissais et je m’adaptais.
J’ai consacré mon temps à la danse et à ma meilleure amie pendant toutes ses années. Avant le drame, j’avais connu quelques histoires. Aucune n’a duré vraiment longtemps. Aucune n’a réellement été marquante. Je n’ai pas un caractère facile, je suis plutôt entière et ça me rend parfois usante, faut l’avouer, même si j’ai des bons côtés. Si si si ! Je vous assure ! Et avec le drame qui a touché Swann, ça a été encore pire. Je n’ai pas eu le temps pour une relation stable et de toute façon je n’en voulais pas. J’avais huit ans quand mon père a quitté ma mère et qu’elle est devenue une épave. Ça ne donne pas vraiment envie de tomber amoureuse. Encore plus quand la première fois où ça aurait pu arriver, j'ai perdu ma mère au même moment. Elle est morte de chagrin, préférant se suicider que de continuer à vivre dans la souffrance. Je n'en parle jamais. Peu de gens le savent. Swann, son compagnon et Nate.
Swann a retrouvé son indépendance, elle s’est reconstruite, elle a renoué avec la danse. Et puis elle a fini par décider de créer sa propre compagnie et un studio attenant à New York. Quand elle m’a proposé de m’occuper de la partie école, j’ai dit oui sans hésiter. On a travaillé sur le projet comme des malades mais ça en a valu la peine. Aujourd’hui la compagnie tourne à merveille, l’école est bondée et Swann dirige tout ça d’une main de maître. Petit à petit, je lui ai rendu les rennes qu’elle m’avait confié pendant sa grossesse.
C’est à New York que j’ai vécu ma première véritable histoire d’amour. Un politicien qui a longtemps voulu me garder dans l’ombre pour ne pas me forcer à déguiser qui j’étais vraiment juste pour la convenance. Pour ne pas me forcer moi, la provocante et indépendante danseuse à jouer le rôle de la femme parfaite au bras de l’homme politique en campagne. Mais je voulais être à ses côté, et je l’ai convaincu de m’exposer. Il en fallait plus que ça pour m’atteindre.
On s’aimait vraiment. Un premier amour, ça ne s’oublie pas paraît-il. Dorian restera Dorian. A présent, c’est à travers les journaux et la télévision que je l’aperçois. Y’a pas vraiment d’évènements pour expliquer notre séparation. Il avait raison, j’étais bien trop sauvage et libre pour jouer un rôle à temps complet sans que ça ne me mine. Son métier lui prenait tout son temps et il n’en restait plus beaucoup pour nous. Un soir, assis l’un en face de l’autre pendant un dîner, on a compris qu’il valait mieux s’arrêter là, pendant que la fin pouvait être encore belle bien que triste. Premier amour, premier cœur brisé. J’ai à nouveau juré que je ne tomberai pas amoureuse. Plus jamais.
Et puis un jour, en observant Swann, Fred et Juliet, j’ai compris qu’il était temps pour moi d’avancer, de changer de décor. J’ai commencé à chercher du boulot ailleurs. Je ne savais pas comment Nate prendrait mon besoin de partir. J’ai pris un break de quelques semaines, acheté une moto et j’ai taillé la route. La mythique route 66 m’a conduit à travers le pays. Parmi les étapes : Albuquerque. Comme dans chaque ville où je me suis arrêtée, j’ai cherché un endroit où bosser.
Bingo, une compagnie de danse cherchait un professeur et une danseuse. J’ai postulé et décroché le poste. Comme ils cherchaient un danseur, je leur ai parlé de Nate. Ce dernier aussi avait besoin de changement après que sa petite-amie l’ait trompé avec son meilleur ami. Il n’a pas hésité plus de 2 minutes avant de faire ses valises pour me rejoindre. Un nouveau départ. C’était il y a 6 mois.
De mon côté, l’amour est toujours absent de ma vie et tant mieux. Je profite, je sors, je drague, je pars au petit matin sans un mot et je reprends le cours de ma vie. La danse et les amis, c’est beaucoup plus important de toute façon.