Les miracles de la vie [Camilla & Tom]

Cela fait maintenant une semaine que je suis dans ce fichu hôpital, que je regarde ces murs blancs, inlassablement, comme si j’allais réussir à les changer de couleur par la pensée. Je prends la télévision un jour sur deux, pour ne pas que ça me revienne trop cher. Les jours où je ne l’ai pas, je jette un œil sur celle de mon voisin, mais celui-ci passe son temps à regarder de la téléréalité, ce qui n’est pas vraiment mon dada ! Je lui ai demandé s’il s’intéressait au sport, au cas où, mais sa réponse m’a tué sur place et je n’ai pas cherché plus loin. Sur le moment, j’ai presque cru entendre parler mon père. Ce dernier est tout aussi persuadé qu’il n’y a qu’un seul vrai sport qui vaille le coup d’être regardé: le sport automobile. A côté, le basketball, le baseball ou le football sont des sports de « impossibilité de citer ses mots pour cause de sensibilité auditive et de mouvance pro-LGBT #GayPower ».

Dans tous les cas, je n’en peux plus de rester allonger dans ce lit au matelas trop peu épais pour y être à l’aise. Les médecins m’autorisent des promenades, béquilles aux bras, dans le bâtiment et ses extérieurs une fois par jour, trente minutes maximum. Malheureusement, j’ai déjà épuisé mon quota ce midi. Le soleil m’a attiré dehors sans que je puisse résister, tel le chant des sirènes. Mes jambes déliées, je suis retourné dans ma sinistre chambre occupée par mon sinistre voisin. Ce dernier regardait encore une fois le Nascar, qui est selon moi le sport automobile le plus barbant qui soit. Le circuit étant rond, je ne vois absolument pas l’intérêt de ce sport, si ce n’est le fait que les accidents sont spectaculaires. Bref, cela ne m’intéressant pas, je vais faire un brin de toilette, ce que je peux faire seul, Dieu soit loué. Je n’ai malheureusement pas vu une aide-soignante assez sexy pour que j’ai envie qu’on me la fasse.

Maintenant que je suis propre, je n’ai aucune envie de me recoucher dans mon lit et d’attendre que le temps passe, regardant les mouches voler. Surtout qu’il n’y a pas de mouche, dans un hôpital. Je décide alors de braver l’interdit, aller à l’encontre des médecins et retourner me promener dans l’hôpital. J’attrape une de mes béquilles, qui me serre plus d’appui qu’autre chose, et sort de la pièce. Je ne réponds même pas à mon colocataire lorsqu’il s’interroge sur cette seconde sortie. De quoi il se mêle ? Mes déambulations m’emmènent jusqu’à l’aile pédiatrique, sans que j’y porte attention, perdu dans le fil de mes pensées. Je suis sorti de ma rêverie par le silence total qui règne autour de moi. Et pour cause, à ma droite, derrière une baie vitrée, dorment des dizaines de nouveaux nés, tous plus paisibles les uns que les autres. Une femme les observe, les mains sur son ventre. Elle sera très bientôt moment. Son visage m’est étonnement familier, sans que je sache d’où.

Ils sont beaux n’est-ce pas ? Ils ont l’air si paisible…

Quel spectacle est plus attendrissant qu’une dizaine de bébés dormant dans leur couffin ? En observant ce magnifique spectacle, je ne peux m’empêcher d’avoir un léger pincement au cœur. A vingt-sept ans, bientôt vingt-huit (dans deux semaines. Alors, je dis ça innocemment mais j’aimerais une nouvelle télévision, plus grande, une enceinte bluetooth, un fauteuil en cuir, une Nintendo Switch et des Funko Pop), je commence à ressentir le besoin de fonder un foyer. Le point de départ serait d’abord de trouver une petite amie fixe. Ces dernières années, j’ai surtout utilisé mon énergie à aller voir à droite et à gauche, avec plus ou moins de succès, certes, mais ce n’est pas de cette manière qu’on fonde une famille. Jusque-là, ce mode de vie me convenait, mais voir les anniversaires s’enchaîner me rappelle que j’ai besoin de stabilité. Ensuite, concevoir un bébé avec la femme que j’aime serait une énorme étape de franchie dans ma vie.

Concevoir un bébé, fabriquer un être humain, avoir la responsabilité de l’éduquer, de lui donner les moyens de se créer un avenir est un sacré défi. En voyant tous ces petits êtres sous mes yeux, je ne peux m’empêcher de déglutir en me disant que la tâche qui incombe aux adultes est ardue. C’est dans un moment comme celui-ci que je ressens un respect infini envers mes parents. Elever trois enfants, en faire ce qu’ils sont devenus aujourd’hui, cela demande énormément de patience et d’amour. Cela me fait peur. En aurai-je le courage, le cran ? C’est possible. Mais cela me fait peur. J’essaie alors de partager mes interrogations avec la future maman qui se tient à côté de moi : C’est votre premier enfant ? Ça ne vous fait pas peur, vous, d’avoir la vie d’un si petit être entre vos mains ? Personnellement, cela me pétrifie. Je ne sais même pas comment on s’y prend.

En la regardant plus attentivement, j’ai vraiment l’impression de l’avoir déjà vu ou croisé quelque part. Ce pourrait-il que j’ai couché avec ? Possible. Je devais être bourré car je n’en ai absolument aucun souvenir. Quel dommage ! Coucher avec une si belle femme sans s’en souvenir, cela relève de la tristesse absolue. Mais… Mais… Mais… Je regarde son ventre et une pensée effroyable me vient à l’esprit : Et si c’était moi le père… Effrayé, je déglutis. J’espère vraiment que je n’ai pas fait une chose pareille… Rien que l’idée de faire l’amour à une telle femme sans m’en rappeler me révolte, alors lui faire un enfant… Aurai-je été si inconscient ? Non, arrête Tom, tu pars dans des délires là… J’essaie innocemment de me renseigner sur le père de l’enfant. Vous devez être aux anges non ? Ce n’est plus qu’une question de quelques semaines maintenant.. ? Le père doit aussi être heureux j’imagine ?